mercredi 23 juin 2010

mardi 18 mai 2010


BIDEW BOU BESS lors de la journée d'intégration du CESTI

Portrait d’un receveur

Un travailleur sans droit et à l’avenir compromis
A l’heure où la journée mondiale du travail est fêtée partout dans le monde, certains travailleurs vivent dans la négation absolue de leurs droits. En voici quelqu’un, il est receveur dans un minibus TATA. Excusez la non identification de la personne, protection oblige
La fête du travail est certes pour les travailleurs mais apparemment pas pour tous. Notre receveur figure, à cou sûr, parmi les exclus. En cette journée de repos et de dépôt de cahiers de doléances, il est à sa tâche de tous les jours : receveur à un GIE des minibus TATA. A 14h 30 mn le bus où il travaille arrive au terminus. Il en sort avec une démarche très posée qui frise la nonchalance. Un pantalon KAKI assorti d’un t-shirt orange, il porte en bandoulière sa gibecière dans laquelle se trouvent les tickets et les recettes du jour.
Il a démarré sa journée à 4h du matin comme c’est le cas tous les jours et il ne sera au repos qu’à 23h. Cet oublié du code du travail est à ce poste depuis le 30 septembre 2005. En effet, à l’occasion de la phase test du projet du renouvellement du Park automobile à Dakar, un groupe de personnes dont lui est copté pour suivre une formation afin de devenir receveur dans 5O5 minibus TATA. Une fois sur le terrain ces jeunes découvrent le contraire de ce qu’on leur avait dit. « Ils nous avaient promis qu’on devait travailler seulement les matins mais pas les après midis. Or, actuellement, nous travaillons tous les jours de 4h du matin à 23h ».
Né en 1978 à …, il quitte sa ville natale très tôt pour… dans la banlieue dakaroise. Dès la classe de CM2, il abandonne l’école parce que s’estimant devoir répondre à certaines demandes familiales. « Je devais chercher du travail pour aider mes parents étant donné que je suis l’ainé de ma famille ». Déjà, en tant qu’élève, il faisait office de marchand ambulant pendant les vacances. La page de l’école tournée, il est désormais travailleur journalier à deux entreprises. De ces sociétés, il a gardé un mauvais souvenir. « Ce sont des employeurs qui n’ont aucun respect pour les employés. Ils te font travailler de façon inhumaine et ne te payent jamais à temps ».
Aujourd’hui marié et père d’un enfant, il est un jeune de teint noir foncé et d’un commerce facile. Il est décrit par ses camarades comme « sympathique » avec toujours le sourire aux lèvres. Il a un nouveau travail certes mais guère plus reluisant que les précédents. Les traitements naguère connus sont restés les mêmes. Quand il évoque sa situation, l’amertume qui lui monte à travers la gorge trahit son calme et son débit, d’habitude lent, s’accélère. Même son visage, souriant tout le long de l’entretien, se déride subitement. En fait, en plus du non respect des heures, il ne bénéficie ni de contrat ni de couverture sanitaire ou sociale. « Nous travaillons dans des risques. La convention n’est pas respectée, la prise en charge médicale non plus. Ce qui est sûr c’est que nous allons travailler jusqu’à ce qu’un beau jour on nous dit « Merci. Maintenant vous pouvez disposer ». Même si quelqu’un parmi nous est malade, ses heures de repos sont retranchées de son salaire alors qu’on ne nous paye pas les heures supplémentaires ».
Tailleur de profession, il a exercé très tôt ce métier. Mais au fil des années, le travail devient de plus en plus dur. Pendant que les clients se font rares de plus en plus, la vie se renchérie de jour en jour. « J’avais finalement peu de travail. Je joignais difficilement les deux bouts. Ce qui fait que je voyais en cette nouvelle offre une issue de secours ».
Un moyen d’améliorer sa situation, il n’en voit point. Les syndicats des transporteurs, il ne s’y reconnait pas. D’ailleurs il s’empresse de s’attaquer aux dirigeants syndicalistes Gora Khouma et Alassane Ndoye qu’il taxe d’opportunistes. « Ils n’agissent que pour leur intérêt personnel. Je ne sais même pas s’ils sont du côté des transporteurs ou du côté des chauffeurs ». Depuis 2005, sa situation n’a pas évolué et une quelconque entité qui peut lutter en sa faveur est tout simplement inexistante.
Pire encore, ni lui ni ses camarades n’envisagent l’action syndicale. Il verse plutôt dans le fatalisme. « Cette situation changera quand Dieu le voudra. Je mets tout entre les mains du Seigneur ». Mais malgré tout, il appréhende son avenir avec pleins d’inquiétudes. Il aimerait bien travailler pour lui-même mais hélas ! Il n’a pas de moyens. « Je suis vraiment dans l’incertitude. Je suis désolé de voir le nombre de projets que j’ai sans pouvoir en financer un ».